2006 — REFLEXIVITES / FRAC L-R, Emmanuel Latreille

OLYMPUS DIGITAL CAMERALa rencontre de deux artistes dans une exposition repose sur la capacité des œuvres à se réfléchir réciproquement : mais cela veut dire que les œuvres dialoguent entre elles dans la mesure où elles cherchent à réfléchir quelque chose hors d’elles, un monde qui leur soit commun. L’exercice commande l’hypothèse d’un troisième terme, inconnu, que la combinaison des deux autres (les oeuvres en présence) permet de viser, dans une réflexivité double.

Traditionnellement, on concevait parfois l’art comme un miroir : il se peut que cette réflexivité simple, frontale, soit devenue plus complexe avec les innombrables « réflecteurs » qui augmentent les points de vue possibles entre les réalités et les simulacres, les originaux et les copies, l’être et le semblant (plus retors encore que le « paraître »).
Les peintures de Nina Childress mettent volontiers en oeuvre l’agrandissement du motif, mais surtout une technique souple où le flouté et l’« approximation hyper-réaliste » jettent le regard dans une sorte de trouble devant ce qu’il voit. De même, les objets agrandis de Lilian Bourgeat participent d’une modification étrange des choses, de leur fonction, comme si ces choses conservaient leur usage habituel mais que leur destinataire était un Pantagruel du nouveau millénaire, nous obligeant alors à nous adapter à des dimensions nouvelles. Par ailleurs, ces deux artistes traitent de choses proches, quotidiennes, et y font passer une sorte d’énergie lumineuse, colorée, vive : si bien qu’au bout du compte, ils semblent soucieux l’un et l’autre, à travers leurs œuvres inquiètes mais joyeuses, de grandir le spectateur.
Le Frac Languedoc-Roussillon proposera aussi cette année de nombreuses occasions de se rincer l’œil: que doit-on attendre de l’art que cette salutaire gymnastique qui apprend à distinguer le réel de l’illusoire, les choses de leur ombre, les originaux des copies et les originaux des multiples simulacres qui encombrent nos vies de fantômes tangibles ? C’est que le semblant est lié à l’être comme la moutarde à la saucisse, on ne peut croquer l’une sans avaler l’autre !

Emmanuel Latreille
Directeur du Frac

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