2013 — À propos de nattes, Fabienne Radi
Il en va de la natte comme de la frange : l’une et l’autre sont de bonnes affaires en matière de potentiel sémiologique. Il y a déjà un certain temps, Roland Barthes s’était penché sur la seconde (la frange) dans ses Mythologies pour analyser comment les studios hollywoodiens avaient su tirer tous les bénéfices de cette particularité capillaire dans les péplums des années 50/60. Un coup de ciseau bien ajusté vous transformait n’importe quel acteur transpirant les plaines du Texas en patricien romain tout ragaillardi par une séance dans les thermes. Marlon Brando, Tony Curtis, Rex Harrison, Martin Landau, James Mason, tous ont eu droit au front garni de bouclettes plus ou moins bien peignées pour exprimer leur romanité dans Cléopâtre, Spartacus et autre Jules César, aidés dans cette tâche il est vrai par la toge et les sandalettes, qui vous cassent aussi sec toute panoplie de cow-boy essayant sournoisement de s’imposer par persistance rétinienne dans l’œil des cinéphiles ayant trop consommé de westerns.
Mais revenons à la natte. Celle-ci est généralement associée à l’enfance, surtout si elle se présente par paire. Les tresses, c’est l’apanage des petites filles modèles, ou qui font semblant de l’être, ou qui n’arrivent pas à s’avouer qu’elles ne le sont plus : à cet instant Laura Ingalls de La Petite Maison dans la Prairie clignote en rythme dans le coin gauche de votre cerveau. En poussant la mèche, on pourrait dire que les cheveux dénoués vont de pair avec la perte de la virginité, autrement dit qu’on arrête plus ou moins de se faire des tresses lorsqu’on attrape du poil au pubis. Tout ça concerne évidemment une époque où les codes étaient respectés et suivis au premier degré, autant dire il y a très très longtemps.
Aparté sur les western : dans bon nombre d’entre eux, les gentils Indiens ont des tresses attachées par de jolis brins de laine colorés tandis que les méchants Indiens ont des tignasses qui n’ont jamais vu l’ombre d’une dent de peigne et sont retenues tant bien que mal par un bandeau façon Geronimo immortalisé par Edward S. Curtis. Ici la natte n’affiche pas la virginité mais le degré de civilité. En gros, quand on sait partager une mèche de cheveux en trois et la nouer avec soin, c’est qu’on est capable de parler avec John Wayne sans avoir d’intention sur son scalp. Natte = bon sauvage apte à maîtriser ses cheveux donc ses pulsions.
C’est ici que surgit inopinément Sissi. Comme on le sait, la cadette des filles Wittelsbach aimait les nattes et ne s’est pas privée d’en garnir sa tête. C’est du moins ce qu’on a appris en regardant Romy Schneider batifoler avec Karlheinz Böhm dans des prairies bavaroises à la TV durant des dimanches après-midi pluvieux.
Peut-être est-il bon de faire ici un lien avec ce surnom, Sissi. Se faire appeler ainsi (Sisi en autrichien) de 0 à 61 ans semble en effet aller de pair avec les tresses qu’Elisabeth de Wittelsbach a portées régulièrement (d’abord sur les épaules puis sur la tête) tout au long de sa vie. L’emploi d’un diminutif est toujours un truc bizarre pour ajouter de la fragilité à des créatures qui ne le sont pas tant que ça mais auxquelles on fait croire (ou qui se forcent à croire) qu’elles n’ont pas bougé depuis leur première communion. Sissi s’insère ainsi dans une liste de surnoms formés par syllabes répétées (ça marche en particulier avec la voyelle –i-, dites mimi puis momo et vous aurez compris) qui vont comme un gant aux femmes enfants. Quelques exemples trouvés au débotté, rien qu’en feuilletant un vieux programme TV :
Fifi Brindacier (version française)
Pippi Langstrump (version originale)
Mimi Mathy (version courte)
Zizi Jeanmaire (version music-hall)
Kiki de Montparnasse (version vintage)
Remarquez que sur les cinq, seules les deux premières (qui n’en forment qu’une) portent des nattes (oui mais quelles nattes).
Il semble que Nina Childress ait perçu cette soif de virginité sublimée par les tresses chez Sissi. En tous cas, il y a plein de nattes qui claquent dans ses tableaux, qu’elles appartiennent à Sissi, à des Chinois ou à des Indiennes d’Hollywood.
Dans la peinture de Nina, une tresse peut toujours en cacher une autre et qui sait, peut-être même qu’un jour elle sifflera trois fois.