Exposition collective à la Galerie Papillon
Curatoriat : Colette Barbier
du 11 mars au 6 mai 2023
Vernissage samedi 11 mars, 15h – 20h
avec Carlotta Bailly Borg, Valérie Belin, Michele Ciacciofera, Erik Dietman, Sylvie
Fanchon, Arnaud Labelle-Rojoux, Natacha Lesueur, Lucile Littot, Mathieu Mercier, Chloé Quenum,
JC Ruggirello, Elsa Sahal, Thomas Schütte.
« Le fond de ma nature est, quoi qu’on en dise, le saltimbanque. »
(Gustave Flaubert dans une lettre adressée à Louise Colet)
Pourquoi ce clown si maladroitement peint, très tôt acheté sur un trottoir, m’a-t-il suivi tout au long de ces années ? il trône. Il se moque. Il inquiète ! A l’invitation de Claudine Papillon, j’ai immédiatement pensé à ce petit tableau installé chez moi qui évoque, je crois, tout un monde qui m’a toujours fascinée : celui du cirque, des fêtes foraines, ou d’autres communautés vivant plus à la marge – comme celles qui ont été si brillamment filmées par Clément Cogitore, Jean-Charles Hue ou Bertille Bak. Réunir des artistes et des œuvres qui se confrontent à la notion de dérision, qui interrogent sur le rôle de l’artiste dans la société contemporaine, ce n’est pas nouveau. Déjà, au début du siècle dernier, Paul Klee convoque la figure du clown pour aborder les conditions de vie précaires des artistes. Rien n’aurait-il donc changé ? Ce personnage qui parcourt l’histoire de l’art et de la littérature aurait-il donc garder toute son utilité pour signifier, de façon parodique et détournée, la place de l’art dans la société – autant que le caractère parfois dérisoire de l’existence ? Sylvie Fanchon, à la suite de mon invitation, m’écrit ces quelques mots : « Le burlesque est une arme pour accepter le tragique, le rire est une distanciation vis-à-vis du tragique. » Son tableau se joue des injonctions contemporaines à garder le moral en toute situation. Erik Dietman, qui pour les affiches de son exposition au Centre Pompidou en 1994, avait choisi d’être représenté tel un satyre quasi nu en équilibre sur un rocher jouant de la flûte (de
pan/pain), n’aurait certainement pas rechigné à apparaitre dans cette sélection haute en couleur. Le portrait de lui que nous montrons, Geranium lake, montre l’artiste le nez noyé dans une tâche rouge clownesque d’où émerge un poisson. Quant au personnage mou et contorsionné de Carlotta Bailly Borg, il fait partie d’une grande famille de figures peintes, grotesques et maladroites ; il semble vouloir sortir de son cadre mais le mystère de sa destination demeure. Lucile Littot, qui aime se définir par cette citation d’Audiard « Heureux soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière ! « , propose deux poupées désarticulées et fragiles. Elles sont tout à la fois gracieuses et légèrement ridicules. Les céramiques touchantes et cabossées de Michele Ciacciofera, disposées en ronde, rappellent un petit manège ; mais une observation plus fine révèlera un doigt d’honneur fièrement dressé, dont on se demande bien à qui il s’adresse. Jean-Claude Rugirello, de son côté, utilise la vidéo comme prétexte pour parler de sculpture. Dans celle que nous avons choisie pour l’exposition, l’absurdité y est poussée à son paroxysme. La marionnette de Mathieu Mercier, totalement désincarnée, voudrait, elle, haranguer, le monde mais en vain.
Arnaud Labelle-Rojoux, pour qui les figures grotesques sont prétextes à questionner les valeurs de l’art, propose avec ce dessin une figure d’artiste/clown dont on ne saurait dire s’il risque le KO ou l’indigestion. Elsa Sahal, à l’audace tellement naturelle, modèle avec délectation la terre pour en sortir des figures toujours plus monstrueuses. Clownesses retenue pour cette exposition évoque sans conteste la figure de l’Auguste et Clotho l’une des Parques grecques qui tient la destinée humaine entre ses mains… La farce ne fait plus de doute. « On peut peindre n’importe quoi et j’aurais même tendance à penser qu’il vaut mieux peindre n’importe quoi si l’on veut que la peinture reste un peu excitante ! » assène Nina Childress. Ce n’importe quoi, pour l’exposition, seront des autoportraits en clown et une Sylvie Vartan tout aussi drolatique. Thomas Schütte, pour qui « les œuvres ont pour but d’introduire un point d’interrogation tordu dans le monde » est ici présent avec trois gravures qui appartiennent à un portfolio de cent deux gravures intitulé Quengelware. Entre autres sujets chers à l’artiste,
s’y déclinent bouffons, hommes de cirques et autres figures profondément clownesques. Lady Heart, l’œuvre de Valérie Belin, fait partie d’une nouvelle série de photographies intitulée Heroes, qui s’inspire en partie des codes de la représentation théâtrale et du mime. Chloé
Quenum, artiste pluridisciplinaire, réalise spécialement pour cette exposition une œuvre où les motifs des tissus en wax qu’elle affectionne tout particulièrement sont remplacés par les carreaux iconiques du costume d’Arlequin. L’autoportrait de Natacha Lesueur, dont l’ambition
est de produire des images qui montrent ce que l’œil ne peut voir, reprend grossièrement les codes de maquillage des clowns pour produire une figure moqueuse et inquiétante. Cette figure du clown agit donc dans cette exposition comme un prétexte à regarder les choses de biais, à faire surgir la nature grotesque des conventions qui régissent nos existences contemporaines. Fascinante, elle retient notre regard dans un espace de questionnement et d’incompréhension, nous renvoyant sans cesse à notre condition individuelle, à la manière dont nous nous emparons des sujets qui parsèment nos quotidiens. A tous ces drames plus ou moins avérés, le clown répond par un grand éclat de rire, qui fait l’espace d’un instant tourner le monde en sens inverse.
Colette Barbier
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