Exposition personnelle
à la Galerie Art: Concept
du 13 mai au 22 juillet
4 passage Sainte Avoye, 75003 Paris
Première exposition chez Art : Concept, et Nina Childress signe son histoire du désir en peinture. Ici des garçons et des filles aux cheveux longs seventies, rockeurs et groupies tous unis par le sexe. Unis, mais pas égaux, ni en nombre ni en taille, avec deux grosses têtes de deux Pamela encore adolescentes — Nina, on le sait, travaille le redoublement — : Pamela A (Anderson) bien avant les années Alerte à Malibu, et
sa version plus confidentielle, doublure blondinette, Pamela B (Des Barres). Deux girls next door, des filles sympas, col claudine sur pull rose, pull bleu roi, la raie au milieu pour des cheveux qui encadrent, comme des rideaux, le visage qui sourit, les yeux plus grands que réel. Ces yeux dimensionnés parfois jusqu’à la caricature, elles les ont en commun avec les garçons qu’elles dominent de leur 2m60 sur 2m10. Parmi ces types aux belles tignasses avec strass et paillettes, il y a ceux qu’elles épouseront des années plus tard : Husband (Tommy) Lee, batteur superstar de Mötley Crüe, et sa version light Husband (Michael) Des Barres chanteur du groupe Silverhead, deux jeunes et jolis bad boys aux allures de filles, yeux jaunes et tétons exhibés.
Nina Childress peint ce moment encore vierge, où les unes rêvent aux autres dans une relation unisexe de miroir et de projection. Et c’est là le sujet de sa peinture : un jeu de miroir qu’elle travaille sans ironie sur des toiles argentées, tissus holographiques ; histoire de « réfléchir » un peu cette peinture figurative qui se vautre ailleurs dans des fantasmes hyperréalistes. Vous voulez du réalisme ? coller au réel ? Accessoire ! répond l’artiste qui accroche littéralement strass, cravate, lacet de chemise et foulard.
La figuration chez Nina est un art optique qui ne cherche pas la sidération du « tellement bien fait » mais la mise au point déceptive du regard : une peinture qui s’éclaire dans l’obscurité, s’aplatit à la lumière — le Prince phosphorescent caché dans la toute dernière salle — ; ou le portrait de quatre rockeurs bubble gum sur tissu holographique qui vibre et change selon nos déplacements. Voilà une peinture
d’illusions qui joue sur des questions de rythme à tous les niveaux.
Pas de scènes de concerts, de backstage, ces rockeurs et groupies sont peints isolés, chacun sa toile, en situation de posters. C’est une affaire de pose pour une mise à distance sexuelle. Ici on ne couche pas. Pas encore. On se regarde, le désir est dans les yeux ; ils sont très grands ouverts. Et puis il y a celui qui est hors-jeu, idole célibataire et narcissique sculptée en métal blanc. Patrick Juvet est posé-soclé, le torse nu, sa tête caricaturée. Il n’est pas Anglais, ni Américain ; hors de toute mythologie rock, c’est un gentil Suisse aux cheveux longs, un leurre sexuel, « unisexe » à lui tout seul, qui en 1973 chante Rappelle-toi minette. Cinquante ans plus tard, oui, on se rappelle.
—Laurent Goumarre, Paris, 2023
photos : Romain Darnaud